Histoire d’une notion : La démocratie environnementale

La démocratie environnementale, c’est le droit – pour toute personne, tout collectif, concerné par un projet ayant un impact sur l’environnement – d’être informé, de participer à la décision et d’avoir accès à la justice. Ces trois piliers sont reconnus par la convention d’Aarhus (1998) et intégrés au bloc de constitutionnalité via la Charte de l’environnement de 2004.
Mais ce principe est plus ancien et l'héritier des luttes politiques contre les projets imposés au nom d'un progrès non négociable. Il a été façonné dans les vallées menacées par des barrages, les campagnes sacrifiées aux zones industrielles, les territoires relégués au nom du progrès.
Dès les années 1970, des mouvements citoyens ont contesté la verticalité des décisions, l’alliance du productivisme et de la raison d’État, l’asymétrie entre une technocratie sûre d’elle-même et des populations reléguées au statut de variables d’ajustement.
Les Tourangelles et Tourangeaux ont été de ces luttes. Dans les années 1980, le combat pour une Loire vivante fut un moment fondateur. Face au projet de barrage de Serre-de-la-Fare (en Haute-Loire), des milliers de citoyens se sont levés pour défendre les gorges naturelles, les espèces migratrices, la liberté du fleuve. Ils ont investi l’espace public, mobilisé la science, articulé un contre-projet. Et ils ont gagné.
Cette victoire a démontré que l’intelligence des territoires, la force des alliances et la reconnaissance mutuelle pouvaient faire reculer l’arrogance de l’État aménageur.
Depuis, la démocratie environnementale a progressé sur le plan formel. Mais les reculs sont aujourd’hui patents. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, les attaques contre le droit de l’environnement et la démocratie environnementale s’accumulent : suppression du double degré de juridiction, enquête publique expédiée et dématérialisée, seuil de saisine de la CNDP doublé, etc. Derrière les mots de la "simplification", c’est la dérégulation assumée.
Cette dérégulation s’accompagne d’une criminalisation croissante des mouvements écologistes, régulièrement qualifiés d'écoterroristes : surveillance, disqualification, répression. Dans les médias dominants, le débat est cadré entre "responsables" techno-solutionnistes et "radicaux" anti-progrès. Pendant ce temps, la droite et l’extrême droite convergent pour démanteler des décennies d’acquis dont la loi Duplomb en est un concentré.
Et pourtant, la généalogie militante se poursuit : Notre-Dame-des-Landes, les bassines, l’A69, les résistances locales aux grands projets d’infrastructure imposés au nom de la relance économique ou du "désenclavement" de certains territoires.
À chaque fois, une même exigence : que les finalités soient débattues, que les risques soient nommés et que les alternatives soient sérieusement étudiées.
Car tenir un débat public, ce n’est pas céder à l’irrationnel : c’est reconnaître la légitimité des effets dits "collatéraux" – ceux qui touchent les paysages, les milieux vivants, les pratiques agricoles ou culturelles, les usages quotidiens. C’est faire place aux attachements, aux savoirs situés, à la mémoire des lieux. C’est donner un visage, une voix, une légitimité à celles et ceux que les cartes d’aménagement n’avaient pas dessinés.
La démocratie environnementale, ce n’est pas ralentir. Certains projets peuvent faire débat au sein même des mouvements écologistes – comme le Lyon-Turin ferroviaire – et c’est sain. Car la transition n’est pas un prêt-à-penser : elle doit être construite collectivement, dans le dialogue, parfois dans la conflictualité assumée.
Ce n’est pas un droit de veto : c’est un droit de cité. Ce n’est pas refuser le changement : c’est vouloir le penser à hauteur de vie. Ce n’est pas l’écologie des injonctions : c’est l’écologie des attachements, de la justice, du commun.
Alors que le bloc majoritaire cherche à imposer, à accélérer, à contourner, nous devons plus que jamais défendre ce droit : défendre le droit de comprendre, le droit de contester, le droit de construire un avenir en commun. 🌱


